Les profiteurs de l'Afrique - Ces idées qui gouvernent le monde
Summary
TLDRL'émission 'Ces idées qui gouvernent le monde' explore les défis et les opportunités de l'Afrique dans le contexte de la mondialisation. Les invités, dont Aminata Dramane Traoré, Sylvie Brunel, Calixthe Beyala et Antoine Glaser, débattent des facteurs internes et externes qui influencent le développement du continent, tels que la corruption, les conflits, et les politiques économiques des grandes puissances. Ils discutent également de la souveraineté africaine, de l'impact des ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales, et de la résilience de l'Afrique face à la pandémie de Covid-19. L'échange met en lumière la nécessité pour l'Afrique de prendre en main son destin économique et social, en reconnaissant et en exploitant ses richesses et sa démographie jeune.
Takeaways
- 🌏 L'Afrique est un continent riche en ressources et en potentiel de développement, mais confronté à des défis internes tels que la corruption, les conflits et le terrorisme.
- 📉 L'influence des institutions telles que le FMI, la Banque mondiale et l'OMC est reconnue pour avoir un impact négatif sur l'économie africaine par le biais d'ajustements structurels.
- 💡 L'Afrique est en quête de souveraineté légitime pour faire face aux enjeux économiques, sociaux et climatiques globaux.
- 👥 La participation de personnalités telles que Mme Aminata Dramane Traoré, Sylvie Brunel, Calixthe Beyala et Antoine Glaser apporte des perspectives variées sur les problèmes et les opportunités de l'Afrique.
- 🔄 L'histoire de l'esclavage et de la colonisation a profondément affecté le développement de l'Afrique, laissant un héritage de pauvreté et de dépendance.
- 🌱 L'Afrique a démontré de la résilience face à des crises telles que la pandémie de Covid-19, montrant son potentiel pour un développement durable.
- 🌐 L'interconnexion mondiale et la présence de puissances telles que la Chine, la Russie et l'Europe ont un impact sur les affaires intérieures de l'Afrique.
- 📚 L'éducation et la santé sont identifiés comme des domaines clés pour l'amélioration de la situation socio-économique en Afrique.
- 🏛️ La corruption et les dictateurs sont évoqués comme des obstacles au développement et à la prospérité de l'Afrique.
- 🛑 L'Afrique est souvent perçue comme une victime de l'exploitation des ressources et du pillage, nécessitant une approche différente pour gérer ses richesses.
- 📈 L'Afrique a le potentiel de devenir une puissance mondiale à mesure que les défis sont relevés et que les opportunités sont saisies.
Q & A
Quelle est la principale affirmation du pape François concernant l'Afrique?
-Le pape François a déclaré que l'Afrique subissait toujours les effets délétères d'un colonialisme économique déchaîné.
Quels facteurs sont mentionnés pour expliquer la situation précaire de l'Afrique?
-Les facteurs mentionnés incluent les conflits violents, le terrorisme, la corruption endémique, ainsi que l'ingérence et le contrôle par des puissances étrangères.
Quels sont les griefs de Mme Aminata Dramane Traoré contre le système économique mondial?
-Mme Traoré accuse le système économique mondial d'être destructeur et prédateur, et de maintenir l'Afrique dans une position de sous-tutelle, empêchant le continent d'être protagoniste de son propre destin.
Comment Sylvie Brunel perçoit-elle l'impact de la colonisation de l'Afrique?
-Sylvie Brunel souligne que les marchands, militaires et missionnaires qui ont fondé la colonisation de l'Afrique continuent d'exister sous d'autres formes, avec une présence omniprésente dans les 54 pays africains.
Quelle est la position de Calixthe Beyala sur la situation économique de l'Afrique?
-Calixthe Beyala estime que l'Afrique est riche mais que sa population est pauvre et luttent pour sa survie. Il accuse les dirigeants africains de ne pas agir en faveur de leur peuple.
Quels sont les arguments d'Antoine Glaser sur le rôle des institutions financières internationales en Afrique?
-Antoine Glaser soutient que les institutions comme la Banque mondiale et le FMI ont créé une dépendance en Afrique, en imposant des ajustements structurels qui ont eu des conséquences néfastes.
Que pensez-vous de l'idée que l'Afrique est devenue un dépotoir pour les déchets du monde industrialisé?
-Cette idée est largement reconnue par les participants, qui déplorent le fait que l'Afrique reçoive les déchets et les produits obsolètes des pays développés, contribuant à sa pollution et à son sous-développement.
Comment les invités perçoivent-ils le rôle de la jeunesse africaine dans le développement du continent?
-Ils reconnaissent l'importance de la jeunesse africaine, soulignant qu'elle est devenue digne et consciente de la richesse du continent. Ils croient que la jeunesse a le potentiel de guider l'Afrique vers un développement durable.
Quelle est la vision de l'avenir de l'Afrique exprimée par les invités?
-La vision de l'avenir est optimiste, avec l'idée que l'Afrique peut devenir un leader mondial grâce à sa jeunesse, sa démographie et ses ressources naturelles, à condition de gérer intelligemment ces atouts.
Comment les invités abordent-ils la question de la souveraineté et de la dépendance de l'Afrique par rapport au reste du monde?
-Ils discutent de la manière dont l'Afrique peut atteindre une souveraineté légitime tout en étant conscients de sa dépendance actuelle à l'égard des puissances mondiales, en particulier en ce qui concerne le développement et l'aide.
Quels sont les défis auxquels l'Afrique est actuellement confrontée selon les invités?
-Les défis mentionnés incluent la corruption, la mauvaise gouvernance, la dépendance aux ressources naturelles, la pollution par les déchets en provenance des pays développés, et la nécessité de trouver un modèle de développement alternatif.
Outlines
🌏 L'Afrique et la mondialisation
Le paragraphe introduit le sujet de la participation de l'Afrique à la mondialisation et souligne les défis internes tels que les conflits, le terrorisme et la corruption qui entravent son développement. Le rôle de l'ingérence extérieure, y compris les politiques économiques imposées par des institutions telles que la Banque mondiale, le FMI et l'OMC, est également critiqué. La discussion met en lumière le désir de l'Afrique de gagner en souveraineté et de mieux contrôler son destin.
👥 Les acteurs de la prédation en Afrique
Ce paragraphe présente une discussion entre des invités sur les causes de l'état actuel de l'Afrique, y compris l'histoire de l'esclavage et de la colonisation. Les invités abordent les conséquences de ces politiques, comme la pauvreté, la corruption et la dépendance, et discutent de la manière dont l'Afrique cherche à surmonter ces défis pour atteindre un développement durable.
💬 L'Afrique face à la dépendance et la souveraineté
Les invités débattent sur la manière dont l'Afrique peut assumer un destin souverain tout en étant dépendante du reste du monde. Ils discutent des différences entre les profiteurs extérieurs et ceux du continent, ainsi que des responsabilités des institutions financières internationales et des dirigeants africains dans la situation actuelle de l'Afrique.
🌱 L'Afrique et la gestion de ses ressources
Le paragraphe met en avant les richesses naturelles de l'Afrique et la nécessité de gérer ces ressources de manière intelligente pour assurer un développement durable. Les invités abordent la question de la jeunesse africaine, de l'exode des cerveaux et de la manière dont l'Afrique peut tirer parti de sa démographie pour devenir une puissance mondiale.
🔄 Les défis et les opportunités pour l'Afrique
Les invités discutent des défis économiques et sécuritaires auxquels l'Afrique est confrontée, y compris les interventions militaires et les stratégies des puissances émergentes. Ils identifient également les opportunités pour l'Afrique de renforcer sa souveraineté et de jouer un rôle plus important sur la scène internationale.
🌐 L'Afrique dans la nouvelle économie mondiale
Ce paragraphe explore comment l'Afrique peut tirer profit de la transition écologique et des nouvelles technologies pour devenir une puissance mondiale. Les invités soulignent l'importance de la souveraineté et de la gestion intelligente des richesses naturelles pour le développement de l'Afrique.
📚 L'importance de l'éducation et de la santé en Afrique
Les invités discutent de la manière dont l'Afrique a progressé dans les domaines de l'éducation et de la santé au cours des 50 dernières années. Ils reconnaissent les réalisations tout en identifiant les défis qui restent, tels que la création d'universités panafricaines et l'adoption de systèmes de santé traditionnels.
🛑 L'impact des politiques économiques internationales en Afrique
Ce paragraphe examine l'impact des ajustements structurels imposés par les institutions telles que le FMI et la Banque mondiale sur les économies africaines. Les invités débattent sur la manière dont ces politiques ont affecté la souveraineté des pays africains et ont contribué à des problèmes socio-économiques.
🚫 L'Afrique comme un dépotoir du monde
Les invités dénoncent la manière dont l'Afrique est devenue un dépotoir pour les déchets et les produits obsolètes provenant de l'Occident. Ils discutent de la pollution et de l'impact sur l'environnement et l'économie de l'Afrique, ainsi que de la nécessité pour l'Afrique de se développer sans suivre le modèle capitaliste destructeur.
🌱 L'Afrique et la chance de l'écologie
Dans ce paragraphe, les invités abordent l'opportunité pour l'Afrique de développer un modèle écologique durable qui profite à la fois de ses traditions et de la modernité. Ils discutent de la manière dont l'Afrique pourrait être un leader dans la gestion des ressources naturelles et la protection de l'environnement.
👩🌾 L'importance de la souveraineté alimentaire en Afrique
Les invités reconnaissent l'importance de la souveraineté alimentaire pour l'Afrique et la nécessité de valoriser les paysans et l'agriculture traditionnelles. Ils débattent de la manière dont la pandémie et les conflits ont mis en lumière l'importance de la sécurité alimentaire et de la nécessité de reconsidérer les pratiques agricoles et la place des paysans dans la société.
Mindmap
Keywords
💡Mondialisation
💡Colonialisme économique
💡Ajustements structurels
💡Pillage des ressources
💡Souveraineté
💡Développement
💡Dette
💡Dépendance
💡Inégalités
💡Déstabilisation
💡Transition écologique
💡Imperialisme
💡Développement durable
💡Paysans et agriculture
💡Alimentation
Highlights
L'Afrique participe activement à la mondialisation et possède de nombreux atouts pour favoriser le progrès et le développement, tels qu'une démographie jeune, des richesses minières et énergétiques, une classe moyenne consommatrice et une croissance soutenue.
En dépit de ses richesses, l'Afrique ne bénéficie pas à la mesure de ses ressources en raison de facteurs internes tels que des conflits violents, le terrorisme et une corruption endémique.
Selon une majorité d'observateurs, l'Afrique n'est pas maîtresse de son destin, soumise à des influences externes telles que les ajustements structurels de l'FMI, la Banque mondiale et l'OMC, ainsi que les pressions de la Chine, de la Russie et de l'Europe.
Le pape François a souligné les effets délétères du colonialisme économique déchaîné en Afrique, lors d'un récent déplacement en République démocratique du Congo.
L'Afrique cherche à conquérir une souveraineté légitime pour faire face aux enjeux économiques, sociaux, climatiques et stratégiques mondiaux.
L'histoire de l'esclavage et de la colonisation a laissé un héritage de prédation et de mal-développement en Afrique, avec des talents et des dirigeants forts éliminés ou exilés.
La décolonisation en Afrique est restée inachevée, avec des pays sous tutelle et un système économique destructeur et prédateur.
Les marchands, militaires et missionnaires, qui ont fondé la colonisation de l'Afrique, sont toujours présents sous d'autres formes.
L'Afrique est en queue des indicateurs de développement, en dépit de ses richesses et de la vitalité de sa population.
La jeunesse africaine est devenue digne et consciente de ses richesses et de son potentiel de développement.
Il existe une asymétrie économique entre les différents pays africains, avec certains pays plus avancés que d'autres en termes d'éducation, de système de santé et de produit national brut.
La diversité des pays africains et les différences dans le leadership expliquent en partie les disparités de développement économique.
L'Afrique doit gérer sa jeunesse croissante, qui représente une opportunité mais aussi un défi en termes de formation et d'emploi.
L'Afrique a montré une résilience extraordinaire face à la pandémie de Covid, contrairement à ce que beaucoup n'ont pas anticipé.
Les pays émergents et les puissances mondiales s'intéressent de plus en plus à l'Afrique, offrant de nouvelles opportunités et défis.
Les ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales ont eu un impact négatif sur les économies africaines et ont créé une dépendance.
L'Afrique doit reprendre la souveraineté sur ses richesses et sur son développement pour éviter la prédation et pour progresser.
Les traditions africaines en matière d'écologie et de développement durable pourraient être un atout pour le continent à l'ère du changement climatique.
L'Afrique a le potentiel de devenir une puissance mondiale à l'image des pays d'Asie, grâce à sa démographie, ses ressources et sa capacité à innover.
Transcripts
Générique
...
-Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
Les profiteurs de l'Afrique, de quoi s'agit-il ?
L'Afrique participe
de la mondialisation, tout comme les autres continents.
Elle ne manque pas d'atouts pour être un aiguillon
du progrès et du développement.
Une démographie vigoureuse et jeune,
des richesses minières
et énergétiques,
une classe moyenne qui consomme, une croissance soutenue,
mais elle n'en profite pas à la mesure
de ses richesses pour des raisons intérieures,
parce que ce continent est sans cesse précarisé
par des conflits violents, le terrorisme et une corruption
endémique, mais aussi et surtout,
selon la majorité des observateurs africains,
voire occidentaux, parce que ce continent
n'est pas protagoniste de son destin.
Selon le pape François, au cours d'un récent déplacement
en République démocratique du Congo,
l'Afrique subirait toujours
les effets délétères - je le cite -
d'un colonialisme économique déchaîné.
Sont incriminés,
pêle-mêle, les drastiques ajustements
structurels du FMI, de la Banque mondiale, de l'OMC,
les pressions de la Chine, de la Russie,
de l'Europe, le pillage des ressources,
le soutien des dictateurs, l'ingérence
dans les affaires intérieures. Bref,
l'Afrique cherche à conquérir une légitime souveraineté
pour agir face aux enjeux économiques, sociaux,
climatiques et stratégiques
qui agitent
la planète. Pour en parler
et discerner qui sont ces profiteurs de l'Afrique,
nous le ferons avec mes invités
que je vous présente.
Nous avons Mme Aminata Dramane Traoré
qui est en visioconférence depuis le Mali.
Je rappelle, Mme Traoré, que vous êtes ancienne ministre
de la Culture et du Tourisme du Mali.
Vous êtes également essayiste. Sylvie Brunel,
vous êtes professeur
des universités. Calixthe Beyala,
vous êtes romancière.
Antoine Glaser, vous êtes journaliste et essayiste.
Vous venez de voir cette citation du pape François
qui dit : "Cessez d'étouffer
"l'Afrique : elle n'est pas une mine à exploiter
"et une terre à dévaliser."
D'après les statistiques et autres projections,
tant internationales qu'africaines, l'Afrique connaît
un développement certain et des avancées
conséquentes, de l'espérance de vie
aux autres indicateurs du développement humain,
qu'il s'agisse de la santé, de l'éducation, du niveau de vie.
Pourquoi cette image persistante de prédation,
de pillage des ressources, de corruption croissante,
bref, de mal-développement ? Calixthe Beyala.
-Ecoutez, je tenais d'abord à saluer Aminata.
Vraiment, mais vraiment. Salut.
Cela est dû, essentiellement, d'abord,
à l'histoire de l'esclavage, à l'histoire coloniale aussi.
Quand un peuple a été, pendant des siècles,
aussi maltraité, méprisé, écrasé, étouffé...
N'oubliez surtout pas que, durant ces périodes,
tous les hommes brillants
ont été systématiquement
soit déportés, soit assassinés.
L'Afrique s'est retrouvée, à un moment donné,
très démunie. Tous les Kwame Nkrumah sont
retrouvés morts en exil, les Um Nyobe...
Tous ces hommes qui portaient l'Afrique
- vous savez, toutes les sociétés ont besoin
de figures fortes pour avancer -
ont été décimés. On a laissé les plus fragiles.
Ceux qui demandaient
le moins l'indépendance, on les a mis au pouvoir.
Les plus faibles parmi nous,
on les a mis au pouvoir
pour pouvoir mieux les contrôler, mieux exploiter l'Afrique,
mieux tuer les Africains, d'ailleurs, parce que
nous sommes pris par ces organisations mondiales
dont vous parlez, qui nous exploitent,
mais aussi - ça dépend des pays, d'ailleurs -
en Afrique centrale, par nos propres dictateurs,
nos propres frères qui nous mettent dans une situation difficile.
Depuis les ajustements structurels...
-On va rentrer dans le détail. Je voulais juste
une première impression. Vous aurez l'occasion
de détailler les différents points. Mme Traoré,
une première impression sur cette question-là,
ce mal-développement malgré les atouts.
Une première impression. Qu'est-ce que vous en pensez ?
*-Moi, je doute,
d'abord.
Je me pose des questions sur ce que...
ce développement veut dire.
Quand vous dites que l'Afrique est
dans la mondialisation au même titre que les autres
et que j'entends parler
d'un certain nombre d'indicateurs,
l'idée consiste à dire de toute façon
que la mondialisation est un marché et aurait tiré
- en tout cas, en ce qui concerne le Sud global -
bon nombre de gens de la pauvreté, et ainsi de suite.
Soyons réalistes. Prenons le pouls
du monde, au moment où je vous parle,
d'où vous me parlez et d'où je vous parle.
J'ai l'intime conviction
que la mondialisation heureuse est une sorte de chimère
et que, chez nous, de toute façon,
la décolonisation est restée inachevée.
Nous sommes des pays sous tutelle.
Immédiatement après l'accession
à ce que nous avons cru être l'indépendance,
on a emboîté le pas...
En fait, on n'a pas su rompre avec un système économique
destructeur, prédateur, ce qui est lié à la nature
du système global. -Vous incriminez
le système global. Vous en pensez quoi,
Sylvie Brunel,
de cette image
un peu déconsidérée de l'Afrique, malgré les atouts
et le développement ? -Un fait est certain :
les marchands, militaires et missionnaires
qui fondaient la colonisation de l'Afrique
sont toujours à l'oeuvre dans les Afrique.
Ils prennent d'autres formes, mais ce sont toujours des marchands,
militaires et missionnaires omniprésents dans les 54 pays
d'Afrique, et quand on regarde... -Vous voulez dire
qu'il y a un continuum colonial ?
-Oui, mais il a changé de nature. Les profiteurs de l'Afrique
sont aujourd'hui extrêmement nombreux,
à l'extérieur et à l'intérieur. C'est ça, le comble.
Ce continent qui est formé de forces vives
extrêmement marquantes et qui pourrait apprendre
au reste du monde ce que sont
le développement durable, la résilience,
l'économie de l'ensemble des matières,
la relation
avec la nature, cette vitalité, eh bien, ce continent continue
d'être en queue des indicateurs de développement.
J'en veux pour preuve quelque chose qui me marque :
le taux de mortalité infantile.
C'est un bon révélateur de la situation d'un pays.
C'est le nombre d'enfants qui meurent avant l'âge d'un an
pour 1000 naissances vivantes.
La moyenne mondiale est de 28 pour 1000.
Elle a beaucoup baissé.
On est vraiment dans une évolution qui est très encourageante,
mais en Afrique, c'est toujours presque le double.
Ce continent africain, c'est un continent riche,
peuplé de pauvres qui se battent
au quotidien pour leur survie, avec des dirigeants
qui ne font pas ce qu'il faudrait pour aider leur peuple.
-Et vous, Antoine Glaser ?
-Pour poursuivre un peu, je pense que c'est surtout
une sorte de substitution, je veux dire,
en dehors d'un certain nombre d'acteurs
qui sont toujours présents. Ce qui m'a vraiment surpris
- bien sûr, j'ai plus connu la période postcoloniale -
c'est à quel point, finalement,
des personnalités dans tous les secteurs,
et moi-même... Je me considère
comme un profiteur de l'Afrique. En tant que journaliste
spécialiste de l'Afrique, j'ai pu, pendant 30 ans,
faire des bouquins. Mes petites publications
avaient un retentissement, parce que mes confrères
africains et français d'origine africaine
n'étaient pas pris au sérieux en France
ou étaient sous la pression
des autocrates dans leur pays.
Je balaye devant ma porte. J'ai connu
la substitution. Ca a été l'enseignement.
Tout le domaine de l'enseignement, pendant 30 ans,
c'était des dizaines de milliers de Français
qui faisaient la coopération. Je ne critique pas leur travail,
mais j'ai vu des rapports du ministère de la Coopération.
En 89-90 encore, ils ont dit : "Arrêtons, parce que, là,
"sur 5000 coopérants, il y en a 70
"qui sont des enseignants et qui font à la place
"des Africains." Si on ne comprend pas
qu'il faut arrêter de se substituer
aux Africains, pas simplement
leur donner des leçons, mais faire à leur place...
Et puis, la deuxième chose... A un moment donné,
il faut comprendre qu'il y a une période
où il faut arrêter de faire "à la place de"
et apprendre de l'Afrique. On n'a pas appris de l'Afrique.
On a exporté, dans tous nos pays,
pas juste une Constitution ou notre langue,
mais notre façon de faire.
-Aminata Traoré, je voudrais vous poser
une question qui peut paraître provocante et délicate,
mais j'aimerais avoir votre avis.
L'Afrique se veut de plain-pied dans le monde,
même si vous dites que la mondialisation est malheureuse.
Elle est quand même pleinement active,
parce que c'est une forte population
avec des ressources, une activité,
mais elle est toujours à la recherche
d'une aide au développement.
La question que je vous pose - et c'est à vous que je la pose,
parce que vous avez exercé des responsabilités politiques -
c'est : comment on peut assumer un destin souverainement,
tout en restant dépendant du reste du monde ?
-Moi, d'abord,
je voudrais que l'on fasse
la distinction entre un profiteur de l'extérieur
et un profiteur de l'intérieur.
Je crois que, pour...
Il faut inscrire l'Afrique dans le monde.
Il n'y a pas... Il y a des spécificités africaines.
C'est une histoire singulière,
pour les raisons que Calixthe a évoquées,
mais, moi, je me dis que
les responsabilités... Je peux pas dire que...
Le FMI, la Banque mondiale...
Toutes ces institutions financières, monétaires...
C'est des relations de dominant à dominé.
Ca a toujours été ça.
De la traite négrière à ce jour, le système capitaliste
a toujours eu besoin des richesses du continent,
en hommes, les esclaves, en ressources naturelles.
Rien n'a changé. Quand je réfléchis...
J'ai regardé ce matin la situation de la dette africaine.
Nous nous sommes endettés en mettant en place
des infrastructures dont les grandes entreprises
étrangères avaient besoin et ont besoin.
On rembourse, aujourd'hui.
Vous dites que j'ai été au pouvoir. J'ai été ministre de la Culture
et du Tourisme. Je sais de près
que l'Afrique n'a pas eu que des dictateurs,
que des corrompus.
Les dirigeants n'ont pas de marge de manoeuvre,
car les décisions se prennent ailleurs.
Ca, c'est pas spécifique à l'Afrique.
-Oui, mais... -Je connais bien...
-Mme Traoré, sur la question de la dépendance,
est-ce qu'il n'y a pas un problème ?
Etre à la fois dépendant et vouloir être souverain,
c'est quand même... Les gens s'interrogent
à ce sujet-là. -Mais l'Afrique n'a pas choisi
d'être dépendante. On a créé cette dépendance.
Quand nous étions à la sortie de ce...
Quand nous avons cru échapper au joug colonial,
qu'est-ce que nous avons fait ?
Nous avons continué la même culture de rentes,
ce que Samir Amin appelle "l'échange inégal".
L'échange inégal a prévalu et continue.
Nous ne décidons pas du prix des matières premières.
Quand on connaît le processus
de l'endettement, on a été...
Je ne suis pas dans la victimisation,
mais c'est clair que le fardeau de la dette,
la manière dont le commerce mondial
est structuré et géré, c'est un système de pillage
de l'Afrique, et pas du fait des Africains.
C'est pas le choix des Africains.
-Calixthe Beyala,
pour poursuivre le débat,
j'aimerais avoir votre avis. L'Afrique, ce sont des Afrique
et de nombreux pays
africains. Comment expliquer que
certains se débrouillent mieux que d'autres,
à la fois au niveau
de l'éducation,
du système de santé, voire du produit
national brut ? Comment vous expliquez
cette différence
entre les économies et les sociétés en Afrique ?
-Avant de répondre, je voudrais revenir sur quelque chose.
Vous avez parlé de dépendance de l'Afrique,
mais, aujourd'hui, nous sommes tous interdépendants.
L'Afrique dépend de l'Occident, qui dépend de l'Afrique
et de l'Asie. Nous sommes interconnectés
à des degrés divers, mais, aujourd'hui,
personne n'est totalement autonome. Il faut arrêter.
Non, non. -L'aide au développement
ne concerne pas tous les pays.
-Mais vous pouvez la récupérer, votre aide
au développement ! Vous envoyez
de l'aide à des dictateurs
et vous dites aider les Africains ? Personne ne nous aide.
Je tiens à le signaler. Deuxième chose :
la jeunesse africaine est devenue
très digne. Elle n'est pas en train
de quémander. Même s'il y a quelques gamins
qui traversent la mer pour survivre,
l'Afrique n'a jamais été aussi digne
qu'à l'heure actuelle. Je tiens à le dire.
Nous ne sommes pas des mendiants.
La jeunesse africaine a conscience, aujourd'hui,
qu'elle a des matières premières, qu'elle est riche,
qu'elle peut se développer. Nous sommes sur un autre...
Enfin, un autre schéma. Beaucoup de choses ont changé.
Je vais répondre à votre question.
Certains pays sont plus avancés que d'autres,
parce qu'ils ont eu des meilleurs dirigeants.
Ils ont eu des meilleurs dirigeants, notamment au Ghana,
avec les Rawlings qui ont quand même éliminé
- on a beau dire ce qu'on veut - tous les corrompus
et qui ont permis que le peu qu'ils avaient
- malgré ce que la Banque mondiale et le FMI faisaient -
servait à éduquer leur peuple,
à le scolariser
et à le soigner. Par exemple, en Afrique centrale,
on a eu des bouffons.
Il faut se dire la vérité. Au Cameroun,
au Gabon ou en Centrafrique,
on a eu des sanguinaires, des gens qui étaient là,
qui pillaient tout, qui volaient tout,
qui ne se sont pas souciés de leur peuple.
Il y a cette responsabilité qui est là.
Je ne suis pas toujours en train de dire
que la responsabilité est ailleurs.
Quelquefois, on peut nourrir sa famille
avec peu. On peut avoir le sens du partage.
Beaucoup d'Africains aussi,
comme leurs maîtres européens,
n'ont pas eu le sens du partage, du vivre-ensemble,
de donner un peu à l'autre. Il y a une responsabilité partagée.
Moi, au fil des années, quand j'avance dans la vie,
je trouve qu'il n'y a pas
quelqu'un qui ressemble plus à un homme
qu'un autre homme, quelle que soit sa couleur.
Ils se ressemblent. Les capitalistes
les pires dans le monde, franchement,
j'ai trop vieilli pour penser qu'ils sont d'un côté
et pas de l'autre. -Antoine Glaser,
vous qui avez crapahuté, si je puis dire,
dans beaucoup de pays africains et depuis
si longtemps, comment vous expliquez
cette différence de niveau économique
entre les pays
africains ? -D'abord,
c'est vrai qu'on est toujours obligé de parler de la diversité.
Vous avez un certain nombre de pays
qui ont mené des mouvements de libération,
que ce soit l'Afrique du Sud, l'Algérie ou autre.
Ils ne demandent pas à avoir des cadres de l'extérieur
ou, alors, il y a une aide, mais c'est vraiment différent
que des pays qui ont vraiment vécu une période
dans un cocon postcolonial, pour faire court,
qu'on appelle la Françafrique. Encore une fois,
pour moi, avec le recul, c'est vraiment ce truc
de faire à la place des Africains, de pas laisser, finalement,
pendant longtemps... On parle, actuellement,
des changements - Emmanuel Macron -
des nouvelles stratégies africaines vis-à-vis de l'armée
qui a été humiliée au Mali et au Burkina Faso.
Moi, j'ai connu pendant 30 ans, pas simplement parce que la France
le voulait, mais parce que les chefs d'Etat préféraient
que l'armée française ne forme pas leurs propres militaires,
parce qu'ils craignaient les coups d'Etat...
-Ca, vous l'avez dit.
-Voilà les profiteurs. -Très bien,
mais l'asymétrie économique entre les différents pays...
-Quand vous avez un pays comme le Gabon
où va se rendre Emmanuel Macron... Il y a un million d'habitants.
Il y a des richesses incroyables. Il y a eu de l'uranium.
Il y encore du manganèse, du pétrole.
Si c'était bien géré, ça devrait poser aucun problème.
Vous ne pouvez pas comparer ça
avec le Nigéria qui fait des élections...
Elles sont peut-être pas honnêtes, mais il y a une vraie démocratie
avec des élections. Il y a 200 millions d'habitants.
Il y en aura 400 millions en 2050.
Ca sera... Vous vous rendez compte
qu'il y aura un habitant sur Terre sur quatre qui sera africain ?
On peut pas comparer. La seule chose
qu'il faut se rappeler, c'est que c'est vraiment le moment
pour que... Voilà. C'est aux Africains...
"L'Afrique aux Africains", c'est pas qu'un mot.
On va pas continuer
à faire à leur place. Quand je dis
"Qu'ils se démerdent", tout le monde dit "Non".
-Sylvie Brunel, j'aimerais avoir
votre avis, à partir de ce qui a été dit.
De ce qui a été dit sur cette différence
de développement, est-ce qu'il vous paraît
illusoire
qu'un jour il y ait un marché économique,
une union africaine, mais qui fonctionne en corrigeant
ces inégalités, tant au niveau des ressources
que de la démocratie ? Est-ce qu'il y a quelque chose, là,
qui empêche cette harmonie
africaine ? -Vous savez,
dans les années 60, on entendait que
l'Asie ne pourrait pas se développer.
On entendait qu'elle allait basculer dans la famine.
Je me souviens encore, quand j'enseignais
dans mes jeunes années : l'Inde et la Chine,
c'était ce qu'on appelait les PMA, les pays les moins avancés.
Aujourd'hui, on parle de la puissance chinoise
qui est en train de rivaliser
avec la puissance américaine.
En réalité, quand on regarde le continent africain,
on se rend compte que c'est un vieux socle géologique
qui présente l'intérêt d'avoir aujourd'hui
à peu près toutes les ressources dont le monde a besoin pour entamer
la nouvelle révolution digitale. C'est vraiment
le continent le plus avancé, à la fois
dans sa gestion de l'économie
et dans sa gestion
des ressources naturelles.
On sait bien que les paysans africains sont
dans une stratégie de minimisation des risques.
On sait bien à quel point ils ont, depuis très longtemps,
mis au point des systèmes pour faire face
aux aléas. Le continent africain,
ce dont il souffre - mais c'est aussi un atout -
c'est que la moitié de la population
a moins de 15 ans. Comment voulez-vous gérer
un pays où la moitié de la population
a moins de 15 ans ? En plus,
quand vous formez ces jeunes, eh bien, ils partent.
En fait, vous formez des gens extrêmement compétents
qui deviennent médecins, ingénieurs, agronomes
dans le reste du monde. C'est l'exode des cerveaux.
On a, aujourd'hui,
une sorte - comment dire - de recul qui fait
qu'on a l'impression que l'Afrique est
très difficile à développer. Ma conviction, c'est que,
dans 30 ans, on regardera ça, en se disant :
"Et dire qu'on pensait que l'Afrique
"ne se développerait jamais..." En réalité,
qu'il s'agisse des personnes âgées
qui ne sont pas livrées à elles-mêmes,
des mécanismes de solidarité, des mécanismes de résistance
et de résilience face aux chocs climatiques,
de la capacité à adopter très vite
l'innovation, dans ce qu'on appelle
le saut de grenouille, on a l'impression qu'il suffit
qu'il y ait un déclic... On le voit dans certains pays,
parce que certains pays sont très, très avancés.
Malheureusement, ce sont plutôt
des pays où les dirigeants sont un peu autoritaires,
mais nous avons aussi des démocraties très avancées.
Pour moi, le jour où l'Afrique apprendra
à gérer intelligemment tous ces gens qui veulent
tirer parti de ses richesses, en faisant jouer
les concurrences et les convoitises chinoises, indiennes,
turques, israéliennes, françaises, anglaises,
américaines, comme le font déjà certains pays,
elle deviendra la première puissance mondiale,
car elle aura la jeunesse, la démographie,
les matières premières et la capacité à gérer la nature.
-Venons-en à des questions sécuritaires et stratégiques
avec vous, Antoine Glaser.
La France poursuit son désengagement
militaire de l'Afrique. Des puissances émergentes
s'y installent
et se payent en ressources minières
et autres prédations foncières. Qu'est-ce que
vous pensez de ces nouveaux profiteurs ?
-Les nouveaux profiteurs...
On pense aux Russes de Wagner ou autres.
C'est bien évident qu'il y a des profiteurs,
mais ils profitent sur un système,
c'est-à-dire que c'est pas eux qui créent les problèmes.
Ils profitent d'un système ancien. C'est une sorte
d'anachronisme historique, parce qu'ils vont être là
dans des secteurs... Par exemple, je pense que
la France a eu tort de se retirer de la Centrafrique
avec l'opération Sangaris,
parce qu'ils ont sous-estimé à quel point
la Centrafrique était un pays totalement géostratégique,
compte tenu de ses frontières,
compte tenu du fait que c'est un pays
où il y a des diamants.
Ca veut dire que Wagner se paye sur les diamants,
en particulier. Une poignée de diamants,
si vous allez... Un copain y était allé.
Vous prenez une poignée de diamants
et vous avez 100 millions de dollars dans la main.
Avec ça, Wagner peut se payer des mercenaires.
La France a laissé tomber la Centrafrique,
à tel point que ce sont les Américains
qui veulent venir chasser les Russes de Centrafrique.
La France en a été chassée,
effectivement, mais à mon avis, c'était une période historique.
C'était une période décoloniale. On était beaucoup trop présent
pendant une période trop longue. Je veux dire que
c'est l'histoire qui parle. Il faut
vraiment penser que ce continent est devenu...
L'Afrique s'est mondialisée sans qu'on s'en rende compte.
On regardait la réunification
de l'Allemagne. On voyait pas du tout
l'Afrique se mondialiser. Je me souviens,
dans les milieux patronaux, les mecs disaient
"Les Chinois auront besoin de nous", etc.
C'est une période historique. Très honnêtement,
sur ce continent, il faut faire confiance aux gens
qui sont à la manoeuvre. S'il y a des autocrates,
ils se débrouilleront, mais les Russes surfent
sur des situations anciennes, sur des anachronismes,
sur le refoulé, mais il faut parler de l'histoire,
de cette période particulière.
-Calixthe Beyala, il ne s'agit pas
d'avoir des questions qui fâchent, mais il s'agit
d'avancer. On parle
de profiteurs. C'est le thème de l'émission.
La Russie, la Chine, la Turquie... Plein de pays sont là.
Ils sont là pour leurs propres intérêts,
comme l'était la Françafrique.
A votre avis,
l'expérience que vous avez de l'Afrique
suffit-elle à empêcher ces nouveaux profiteurs
de piller l'Afrique ? Qu'est-ce qu'il faudrait
pour ne pas les laisser
libres de cette prédation ?
Tous les pays sont prédateurs.
Il n'y a pas que l'Europe, dans ce domaine-là.
-Je pense que vous sous-estimez beaucoup
les Africains. Ca me gêne vraiment.
Ca me gêne, parce que nous sommes des êtres humains.
Nous avons une expérience de la prédation.
On ne va pas quitter la Françafrique pour tomber aux mains des Russes.
Vous pensez qu'on est là, parce que nous les adorons ?
On ne les connaît même pas. Je ne parle pas
le russe. Il y a peut-être quelques Africains
qui parlent le russe. On ne les connaît pas,
mais on a eu besoin d'eux pour des situations
bien précises de terrorisme.
Vous pensez qu'on va les laisser là ?
Mais vous vous gourez ! Aucun Africain
ne va laisser...
On ne va plus laisser quelqu'un rester là et nous piller.
On ne va pas non plus se couper du reste du monde.
On aura toujours des partenaires, dont les Russes,
les Français, les Américains,
les Chinois, etc., mais arrêtez de nous prendre
- c'est ce qui me gêne, dans ce débat -
pour des gens...
Des enfants qu'on pille, qu'on torpille,
qu'on doit aider, que ceci... On a grandi.
Ce que j'ai aimé dans ce que vient de dire mon ami,
tout à l'heure,
c'est que vous n'avez pas vu l'Afrique
se mondialiser. Vous ne l'avez pas vue grandir.
Sinon, vous ne me poseriez pas ce genre de questions.
On utilise les autres
comme ils nous utilisent et on va les mettre
dehors. S'ils nous dérangent,
on mettra les Russes dehors, comme avec la Françafrique.
On est en train d'essayer de casser tout ça.
Faites-nous confiance. Je tiens à dire quelque chose.
Excusez-moi.
Beaucoup d'Africains ne quittent pas l'Afrique.
Ca, c'est une idée reçue. Il y a à peine
0,2 % d'Africains qui quittent
l'Afrique. -Il y a plus de médecins béninois
en France qu'au Bénin. C'est ça, le problème.
C'est qu'on s'est embêté à former des gens brillants
qui partent. -Non.
Tous les gens brillants ne partent pas.
0,2 % seulement d'Africains quittent le continent.
La plupart de l'immigration africaine
se fait à l'intérieur du continent. -Je sais bien,
mais... -Les médecins camerounais
vont travailler au Gabon, plus qu'en France.
Si, si. Ils vont travailler au Gabon
où ils seront mieux payés, en Afrique du Sud.
L'immigration africaine est d'abord interafricaine.
En même temps, les hommes se sont toujours déplacés.
Il y a aussi des médecins français en Afrique, aux Etats-Unis.
Vous n'allez pas empêcher
le monde d'être le monde, c'est-à-dire que
des hommes se rencontrent, comme depuis la nuit des temps,
qu'ils échangent des idées et des expériences.
Ca a toujours été comme ça.
-Sylvie Brunel, il faut qu'on avance
un peu dans cette émission.
Il y a une question économique
qui se pose.
On considère que les ajustements structurels
- vous pourrez même expliquer
ce que ça veut dire - du FMI,
de la Banque mondiale,
de l'OMC, etc.,
ont provoqué des faillites socio-économiques,
pas qu'en Afrique. On l'a vu aussi
en Amérique latine. Est-ce que
vous considérez que c'est encore vrai, aujourd'hui ?
-Alors, il faudrait rappeler très, très rapidement
que l'Afrique est entrée dans la crise de la dette
dans les années 1980-1990.
A la suite de cela, elle a vu des cohortes
d'experts internationaux lui prendre sa souveraineté
pour appliquer ce qu'on appelle des programmes
d'ajustement structurel : libéralisation,
ouverture des frontières, privatisation
des entreprises publiques. Parallèlement à cette ingérence
économique, il y a eu une ingérence politique,
puisqu'on a conditionné l'aide à la démocratisation,
sachant qu'un certain nombre de chefs d'Etat
tenaient leur légitimité de leurs soutiens extérieurs,
que ces soutiens viennent du monde occidental
ou du monde soviétique. Dans les années 1990-2000,
l'Afrique est entrée dans ce que j'appelle
"la décennie du chaos". Ces deux chocs extrêmement brutaux
ont provoqué un grand nombre de guerres civiles
- 35 pays en guerre sur 53,
puisque le Soudan du Sud n'existait pas encore -
face auxquelles nous avons répondu d'abord par de l'humanitaire,
dans une logique de "containment".
-Tout ça, c'est de l'histoire,
mais aujourd'hui ? -Oui,
mais pour comprendre aujourd'hui, il faut mettre
un petit peu le nez dans l'histoire.
Ensuite, l'Afrique est entrée
dans une forte période de croissance,
la période 2000-2010, à peu près.
Il y a eu, en Occident, la crise des subprimes.
Elle a pensé qu'elle en serait exclue,
mais elle en a subi le rebond, ce qui a provoqué
un certain nombre de crises. Ensuite, il y a eu, de 2010 à 2020,
ce qu'on pourrait appeler la période chinoise,
avec une Chine extrêmement présente en Afrique,
investissant beaucoup, et puis, des process
d'annulation de dettes de la part des Européens, des Occidentaux,
se rendant compte qu'ils avaient placé les Africains
dans des conditions dont ils ne pouvaient pas sortir.
Ensuite, il y a eu la pandémie de Covid.
Cette pandémie de Covid a eu quelque chose de très surprenant :
on s'est rendu compte que
l'Afrique manifestait une résilience extraordinaire.
Le reste du monde tombait dans une espèce
d'hécatombe et l'Afrique résistait.
-Oui, mais votre diagnostic, aujourd'hui ?
-Oui. Mon diagnostic,
aujourd'hui, c'est qu'il n'y a jamais eu autant d'acteurs
étrangers qui s'intéressent à l'Afrique
et qu'il n'y a jamais eu autant d'opportunités
- comme l'a dit Calixthe -
pour les Africains, de jouer
de ces concurrences pour tirer leur épingle du jeu,
sachant que c'est eux qui possèdent aujourd'hui
les richesses que le monde entier convoite
pour pouvoir réussir la transition écologique.
Ils ont toutes ces richesses.
Il s'agit juste
qu'ils en reprennent la souveraineté.
-Aminata Traoré, j'aimerais avoir
votre avis sur cette question
des institutions financières internationales :
le FMI, la Banque mondiale.
Est-ce que vous considérez que ces institutions,
aujourd'hui, encore aujourd'hui,
empêchent, j'allais dire,
des situations harmonieuses en Afrique ?
-Oui, bien sûr.
Moi, je ne suis pas sûre, comme Sylvie...
-Brunel.
-Comme Sylvie Brunel le soutient,
que les choses vont si bien dans certains pays.
La question fondamentale, c'est ce que "développer" veut dire.
Qu'est-ce que "développer" veut dire ?
Est-ce que c'est des infrastructures,
des bâtiments qui poussent, des investisseurs étrangers
qui viennent ? Je n'en suis pas sûre.
Nos pays, nos Etats ont les mêmes maîtres.
Ils ont les mêmes maîtres : FMI, Banque mondiale, OMC,
Union européenne... Ce sont les mêmes.
Nous nous inscrivons, nous...
L'Afrique, aujourd'hui, s'inscrit
dans une dynamique mondiale qui relève de la guerre.
La mondialisation néolibérale,
c'est la guerre. C'est une guerre sans merci.
C'est elle, aujourd'hui, qui est...
Aujourd'hui, la guerre russo-ukrainienne,
l'OTAN... Nous ne sommes...
L'Afrique ne fonctionne pas en dehors de ces réalités.
L'OTAN s'occupe aujourd'hui du Sahel.
Pourquoi on s'étonne que... Au début de cette guerre,
il y a 10 ans, j'ai dit que c'était pas notre guerre.
Aujourd'hui, les Africains disent que ce n'est pas notre guerre.
Je suis de ceux qui, dès 2013, ont dit : "Cette guerre
"soi-disant anti-djihadistes n'est pas notre guerre."
Les djihadistes que je connais, que je vois, aujourd'hui,
qui sèment la terreur dans les villages, qui tuent,
sont des victimes des programmes d'ajustement structurel.
On peut pas dire que c'était une autre histoire.
C'est la même histoire.
Qu'est-ce qui se passe ? Souvenez-vous.
La grande... Disons...
La Banque mondiale ne jurait que par la lutte
contre la pauvreté. C'est devenu, aujourd'hui...
Ca s'est transformé en une lutte contre les pauvres,
parce que les projets mis en oeuvre profitent d'abord à d'autres,
à une poignée d'Africains initiés qui savent...
-Mais Mme Traoré, Mme Traoré, l'assujettissement
économique, c'est pas la relation
de maître à esclave d'il y a plusieurs siècles.
Les pays sont indépendants, aujourd'hui, alors...
-Les pays... Les acteurs sont les mêmes.
J'ai entendu dire, dans le cadre
de l'intervention militaire de la France
au Mali que c'est un devoir de civilisation.
Et c'est ce que j'entends aujourd'hui
dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne
ou plutôt de l'Occident contre la Russie ou vice versa,
j'en sais rien. Ce que je sais, c'est que rien n'a changé
et c'est notre grille de lecture,
c'est le diagnostic qui me paraît aujourd'hui totalement erroné.
Vous pouvez pas comprendre l'Afrique
sans l'inscrire dans ce système global
et dans cette levée de boucliers des peuples du monde.
Il n'y a pas qu'ici. Les peuples du monde aujourd'hui disent non
à la dictature du marché.
-Calixthe Beyala, vous vouliez
intervenir sur la question
des institutions financières
par rapport à ce qui a été dit. -J'épouse tout ce qui a été dit
par rapport aux institutions financières n'étant pas économiste.
Je me souviens de cet ajustement structurel
qui avait mis le Cameroun K.-O.
Mes oncles se sont retrouvés au chômage, je devais me débrouiller,
j'étais toute jeune, à Paris, pour leur envoyer de quoi manger.
Mais sachez aussi
que, au-delà du FMI et tout ça,
les gouvernements, notamment du Cameroun,
vont profiter de l'ajustement structurel
pour dominer les populations. Comment ?
A savoir que ces ajustements structurels ont pris fin
dans les années 2000, d'accord.
Au Cameroun, les salaires avaient été divisés par 3.
Aujourd'hui, alors que la plupart des pays
ont remis les salaires en place, le Cameroun ne l'a pas fait.
Ce qui veut dire que
on a un salaire 3 fois moindre
que, par exemple, au Gabon ou en Centrafrique
et dans d'autres pays africains.
C'est fait exprès pour mieux écraser les peuples,
pour mieux les dominer.
-Mais comment vous pouvez dire des choses pareilles
quand on voit que ces 50 dernières
années, l'Afrique a
considérablement progressé en espérance
de vie, en politique d'éducation, de santé, etc. ?
Est-ce que c'est pas
exagéré que de dire que ces institutions sont venues
écraser ? -Vous oubliez aussi une chose,
c'est la capacité d'inventivité, de créativité du peuple africain.
Nous avons nous-mêmes avec nos petits moyens
construit des petites écoles dans les villages,
construit des petits dispensaires, remis en place
les méthodes traditionnelles de soins.
Notre pharmacopée aujourd'hui est plus valide que jamais.
Vous avez parlé tout à l'heure de la Covid-19.
Nous n'avons pas attendu les vaccins pour soigner
nos malades de Covid. On a
récupéré nos médicaments traditionnels.
J'y étais.
Donc tout ce qui était méprisé autrefois a été
réhabilité. Ne pensez pas que nous sommes là,
on attend qu'on nous apporte ce qu'il faut.
On bâtit nos universités aujourd'hui, des universités
panafricaines
avec d'autres modes de réflexion,
d'autres façons d'enseigner aussi.
Dans un pays comme le Cameroun,
c'est un peuple extrêmement dynamique, qui crée
des universités. On n'attend pas les aides. On sait que quelquefois,
c'est un poison
et que, souvent, c'était une manière de nous inféoder
et de nous dominer. Nous en sommes conscients.
Moi, je suis une enfant d'après
les indépendances. Ce n'est pas pareil
que nos parents qui sont nés avant les indépendances.
On a une autre façon de regarder le monde.
Nous faisons partie du monde et nous allons le conquérir.
Je suis très confiante sur le fait
que, dans 30 ans, comme disait Sylvie,
notre pays, notre continent
sera la terre d'accueil
de tous les autres peuples du monde.
-Antoine Glaser, votre point de vue
sur cette question des institutions.
C'est vrai qu'on a beaucoup critiqué le FMI,
la Banque mondiale.
Quand des pays sont en difficulté, ils exigent des ajustements
qui ont des conséquences.
Mais vous avez le sentiment
que tout ce qui a été distribué comme aide au développement
à travers ces institutions n'a eu que des effets négatifs ?
-Je suis incapable de me prononcer sur le fond.
Je suis pas économiste. Simplement, ce que je peux dire, c'est que,
de la même façon que la France a exporté dans ces pays
toutes ses institutions, etc., ce qui permet
que les chefs d'Etat y sont devenus des vrais constitutionnalistes.
Ca leur permet de faire des 2e, 3e, 4e mandats.
Mais surtout, ce que je crois par contre,
c'est que ces grandes institutions
de Bretton Woods, FMI,
Banque mondiale, ça leur a permis de faire
vivre des dizaines de milliers d'experts. Pourquoi ?
Parce qu'ils envoyaient avec les programmes d'ajustement structurel,
autour de ce qui était imposé d'une façon ou d'une autre,
il y a bien évidemment... mais vraiment,
moi, j'ai connu dans les hôtels, des hôtels en Afrique
qui étaient bourrés d'experts. C'était comme si c'était
une autre langue, le FMI et la Banque mondiale.
C'était la langue des économistes
que les Africains, fallait surtout pas leur apprendre cette langue.
C'est des experts qui étaient autour des conseillers,
autour de tous les ministres, etc. C'est ça,
la domination aussi. Moi, je me prononce pas, je sais pas
ce qu'ils ont apporté, ce qu'ils ont retiré,
mais je peux vous dire que vraiment ça a fait vivre l'extérieur.
Il y a la même chose, on va en parler
sans doute avec Sylvie,
sur les ONG. Pourquoi, par exemple, de l'extérieur,
on donne jamais à des ONG locales,
on donne toujours à des ONG de l'extérieur ?
Je vais pas citer l'agence
ou d'autres, qui disent toujours,
on peut pas, on est banquiers.
En tant que banquiers, on peut pas donner à une ONG locale.
Tout ça, c'est ça qui crée aussi ce sentiment de dépossession
de l'Afrique par rapport à ces grandes institutions.
Ca veut pas dire qu'à l'intérieur de la Banque mondiale ou du FMI,
ils ont intégré énormément de jeunes Africains.
On parle de ces grandes
institutions, Sylvie Brunel, mais
certaines ONG sont en elles-mêmes
de grandes institutions.
Pour ne pas les citer, par exemple, OXFAM a des moyens
considérables. Quel bilan
vous faites de cette action des ONG,
disons des principales ONG,
en Afrique ? Le bilan, il est
contrasté, il est positif ?
-Vous savez, Emile, il y a un proverbe en Afrique qui dit :
"La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit."
Vous avez donc une prolifération d'institutions
qui prétendent toutes sauver l'Afrique malgré elle.
Vous savez que le développement,
c'est avoir la capacité de choix, être souverain
quand on est face à son destin. Que constate-t-on ?
Que, dans le domaine de l'humanitaire,
tout un ensemble d'acteurs prétendent à leur niveau
savoir mieux que le paysan africain ce qui est bon pour son avenir.
Que, dans l'environnement,
et Calixthe y a fait allusion,
on crée des zones protégées, mais protégées
contre l'éleveur africain, contre le paysan africain.
Avec la complicité
des autorités locales.
On constate aussi que, chaque fois que l'on reçoit un prêt,
alors, vous savez que l'Europe a largement aujourd'hui
annulé sa dette et délié son aide, c'est-à-dire
qu'elle ne conditionne plus son aide
à l'achat de biens et de services en provenance de l'Europe,
mais ce n'est pas le cas de la Chine,
qui, d'une façon beaucoup plus cynique, exige
pour pouvoir construire des infrastructures,
avoir accès aux ports,
mettre en place des mécanismes de coopération,
d'avoir la mainmise sur les matières premières africaines,
qui crée aussi des systèmes complètement fermés
où elle n'emploie pas les Africains.
Il y a très peu de mariages qu'on pourrait appeler "inter-raciaux",
même si ça ne veut rien dire.
Donc on se rend compte que l'Afrique est envahie d'acteurs
aux motivations plus ou moins troubles,
qu'elle a beaucoup de mal à coordonner, qu'elle a beaucoup
de mal surtout à dominer si je puis dire.
Et je pense qu'il faut qu'elle reprenne
en ce domaine sa souveraineté.
Pour ça, il ne faut plus qu'elle demande d'aide
de l'extérieur, parce qu'elle a elle-même les moyens sur place
avec toutes ses matières premières,
tous ses atouts, de transformer sur place en créant
un marché intérieur, un processus de développement
qui la rendrait
comme les pays d'Asie, comme la Chine, comme les émergents
de l'Asie de l'Est, totalement souveraine quant à son avenir.
Pour revenir à ce que disait Calixthe,
je pense qu'on peut très bien avoir
dans 30 ans un renversement total de l'histoire de l'humanité
avec une Afrique, où un humain sur quatre
sera effectivement africain,
et qui donnera le la au reste du monde
sur la gestion des personnes âgées, sur la gestion de la nature,
sur la gestion de l'énergie, sur la gestion aussi
d'un développement qui sait saisir le meilleur des technologies.
-Alors, puisqu'on est bientôt à la fin de cette émission
et qu'on parle de grande transformation,
Madame Traoré, vous êtes
avec nous depuis Bamako,
je voudrais vous poser une question
qui fait partie de vos préoccupations politiques
au niveau de l'écologie.
La prise de conscience du réchauffement climatique,
elle est acquise partout.
En Afrique comme ailleurs.
Les politiques économiques ne suivent pas toujours,
notamment en matière de coopération,
de commerce extérieur, de transition énergétique.
Qu'est-ce qui empêche à votre avis l'Afrique
d'avoir aujourd'hui une politique écologique
qui tienne compte à la fois des traditions et de la modernité ?
-C'est pour ça
que je m'interroge encore une fois.
J'ai l'impression...
Notre débat va dans le sens de...
Même si on n'idéalise pas le développement,
c'est comme s'il y a un modèle
performant et vertueux quelque part,
l'Afrique n'y est pas et elle va certainement
y arriver comme les autres. Mais moi, je n'envie pas les autres.
Quand je vois l'état du monde aujourd'hui,
je n'envie pas les autres. -C'est vrai.
-C'est à nous, à la lumière
de l'état catastrophique de la planète,
c'est à nous de nous dire,
ils prétendent avoir décollé, ils sont partis,
mais nous voici au même endroit. Quand je regarde
la bagarre pour les retraites, et les tremblements de terre,
les migrants, on a tellement de problèmes !
Calixthe a raison de dire que c'est humain.
On a devant nous
une somme considérable de situations
qui ne permet pas d'être
optimiste, en disant : on va y arriver comme les autres.
Mais j'ai pas envie d'y arriver
comme les autres, les autres n'y sont pas. Ils n'y sont pas
précisément parce que leur modèle,
le modèle dont on parle, c'est le même modèle.
Nous, on n'a pas eu le temps de penser,
d'avoir une pensée économique et politique qui devait nous mettre
à l'abri de cette situation. C'est parce que les autres savent,
ceux qui sont partis, les sociétés, les nations esclavagistes
et colonialistes qui sont sorties par la fenêtre,
qui reviennent par la porte,
qui disent "les autres" quand ils parlent de la Russie,
de la Chine et de la Turquie. Ils disent "les compétiteurs",
"les concurrents". Ce qui veut dire quoi ?
Que l'Afrique est une proie. L'Afrique est une proie,
donc les gagnants de ce système, ceux qui ont cru qu'ils gagnaient,
se bousculent, veulent occuper le terrain
pour que les autres ne viennent pas.
Et nous, Africains, qu'est-ce qu'on fait ?
On va être là en train de dire : venez,
il y a les terres, il y a les ressources et allons-y.
Nous voulons développer comme vous,
mais moi, j'ai pas envie de me développer comme eux,
d'autant plus que notre continent, on est un dépotoir.
Les déchets.
Je ne vois que des déchets. Je me suis battue toute ma vie
pour les textiles africains,
mais je ne vois que la friperie, partout.
De Nairobi à Dakar. La plupart des boutiques,
nos jeunes ne vendent que des restes.
-En somme, vous êtes en train de dire
que l'écologie est une chance pour l'Afrique ?
-Bien sûr. -Elle pourrait être une chance,
pourvu que ce soit pas le modèle capitaliste destructeur,
congénitalement destructeur.
Des humains, de la cohésion sociale et du vivant.
-Ce qui n'empêche pas qu'il y ait du capitalisme
dans les pays africains et ailleurs.
Un mot là-dessus
et on a terminé, Calixthe Beyala.
-Oui... -Sur l'écologie comme une chance.
-L'Afrique n'a pas eu besoin du mot écologie pour être écologiste.
Le peuple africain autrefois, naturellement,
ne prenait dans la nature que ce dont il avait besoin.
On ne prenait jamais plus.
Je me souviens quand j'étais enfant de mes oncles,
quand ils allaient à la chasse, ils ramenaient un gibier,
pas parce qu'ils en avaient pas trouvé,
mais un. D'ailleurs, ils me demandaient le matin :
"Qu'est-ce que tu veux manger aujourd'hui ?"
Je disais : "Je veux une biche." Et ils amenaient une biche
pour tout le village, mais pas dix biches.
Donc on n'a pas eu besoin de l'Occident pour pouvoir savoir
ce qu'il faut faire pour vivre en cohésion avec la nature.
Ca, c'est le 1er point. Le 2e point,
c'est que, effectivement, comme le disait
Aminata, on a eu...
Nous sommes devenus un dépotoir avec les vieilles voitures,
la friperie, les vieux frigos,
les vieilles télévisions, tout ce dont l'Occident n'a pas besoin.
Ils mettent ça dans les bateaux et jettent ça chez nous
et ça nous pollue. Donc nous allons faire un travail,
et moi, je suis confiante là-dessus, pour balayer
tout cela, réapprendre aux gens,
comme nos parents le faisaient autrefois, à marcher à pied.
On faisait 20 kilomètres pour aller à l'école.
Les jeunes Africains ont oublié ça.
On va repartir vers un autre type de développement.
On ne va pas rejeter
ce qu'il y a de bon en Occident,
on va prendre ce que vous avez de bon
et on va faire
à notre façon pour ne pas avoir ce que vous avez produit de mal.
C'est la chance que nous avons.
Je suis contre ceux qui disent de rejeter l'Occident.
Il y a de très belles choses et nous allons les prendre.
Le système de retraite,
je trouve ça très bien et on va
les appliquer ou les lois sur le travail,
il faudrait peut-être qu'on s'inspire
de ça et que les travailleurs soient plus protégés.
La Sécurité sociale, j'aimerais bien qu'on ait ça chez nous.
Mais il y a des choses
que je n'aimerais pas, le développement
à tout prix, les immeubles partout,
parce que l'humain n'a pas besoin de tant de richesses,
de tant d'argent pour survivre.
Nous allons refuser cet aspect-là. -Merci.
L'émission se termine là-dessus, donc sur une Afrique
qui serait et qui est, comme vous l'avez dit,
en phase avec ce développement durable
et contre tous les gaspillages.
Il me reste à vous présenter une bibliographie.
Aminata Traoré, vous avez publié
il y a quelques années
"L'étau. L'Afrique dans un monde sans frontières".
Vous n'avez pas changé d'avis aujourd'hui ?
-Non.
Rires -Vous pensez que
l'étau est toujours là ?
-Qu'il se resserre, mais on va se battre.
-Bien.
Alors, je voudrais signaler le livre d'Eric Toussaint,
"Banque mondiale, une histoire critique".
C'est un livre qui est plein d'informations
sur les relations
dont on a parlé entre l'Afrique et les grandes institutions
et tous ces ajustements structurels qui ont provoqué,
comme ça a été dit au cours de cette émission
de nombreux dégâts. Alors, Antoine Glaser, vous avez
publié il y a quelques années
avec Stephen Smith
"L'Afrique sans Africains".
-"Le rêve blanc du continent noir".
-"Le rêve blanc du continent noir".
Et votre livre, "Le piège africain de Macron",
vient d'être publié chez Pluriel.
Quelle continuité il y a
entre tous ces livres sur l'Afrique ?
C'est une mission chez vous ? -Non, c'est pas une mission.
Mais c'est vrai que, quand j'entends Aminata
parler d'Afrique dépotoir, ça me fait bondir.
Je vais pas être critique sur le voyage
du Président Macron au Gabon,
mais avant de dire que les grandes forêts du Gabon,
c'est le bien commun de l'humanité,
comme si ça appartenait pas
aux Africains, les biens communs de tous,
il faut pas y toucher,
qu'on s'occupe déjà
de l'Afrique dépotoir !
-Un mot quand même. Quand on dit que les forêts sont des biens,
c'est dans la mesure
où ils capturent le gaz carbonique. -Oui, mais
on dit que c'est les biens communs de l'humanité. OK, mais à part ça,
l'Afrique finalement a été très vertueuse
par rapport à l'ensemble du monde sur la pollution du monde
et on va dire :
touchez surtout pas à vos forêts,
ça peut servir à tout le monde. OK.
C'est là où il y a un vrai problème.
-Bien. Calixthe
Beyala, vous avez publié il y a quelques années
"Les honneurs perdus".
-Ou "Le Christ selon l'Afrique", le plus récent.
-Ou "Le Christ selon l'Afrique".
Tout ça, vous restez finalement
dans ce lignage africain
quand vous écrivez ?
C'est l'Afrique qui écrit en vous
ou finalement, maintenant, comme vous vivez également en France,
est-ce que c'est le monde qui vous motive ?
-Il y a l'Afrique qui me motive certes,
mais en même temps, j'appartiens au monde.
Je crois plus en l'identité géographique des peuples
qu'en l'identité raciale. Vous prenez un petit Européen,
vous le mettez en Afrique, pour moi, c'est un Africain,
parce que l'environnement dans lequel il vit
va faire de lui ce qu'il est. Donc ce que je suis,
c'est un mélange de l'Afrique et de l'Europe.
Et personne ne peut me le dénier. Mes enfants sont pareils.
Chaque être humain aujourd'hui dépend de son environnement.
C'est pour ça que ceux qui parlent
de grand remplacement et toutes ces conneries,
j'appelle ça vraiment... -Ce n'est pas au coeur
de notre émission.
Donc ignorons
cet extrémisme-là. -Ca fait partie,
c'est pour dire que nous sommes tout cela à la fois.
-Bien entendu.
Sylvie Brunel, vous venez
de publier "Nourrir. Cessons de maltraiter
"ceux qui nous font vivre !".
Nous aurons l'occasion de parler des paysans, de l'agriculture,
mais pourquoi avoir publié ce cri aujourd'hui ?
-Bah parce que, dans le monde entier, on n'a jamais autant parlé
de l'arme alimentaire, de l'insécurité alimentaire,
qu'il y a dans le monde entier plus de 1,3 milliard de paysans
qui travaillent dur, qui nous nourrissent
et que, dans tous les pays, ils sont méprisés,
ils sont critiqués,
alors que tous les enjeux aujourd'hui, écologiques,
énergétiques, paysagers, patrimoniaux
et bien sûr nourriciers, passent par eux,
parce qu'ils travaillent avec le vivant.
Et c'est particulièrement vrai que le continent africain,
où les mégalopoles sont extrêmement importatrices de nourriture,
alors qu'on a encore plus de la moitié de la population
qui travaille dans les campagnes.
-Donc vous considérez aujourd'hui
que l'alimentation est sacrifiée au profit
de la grosse industrialisation
et du capitalisme international ? -Non, je considère
que la souveraineté alimentaire est une question essentielle
qui est revenue au 1er plan avec la pandémie,
la guerre en Ukraine, l'inflation,
le fait que les exportations de la Russie et de l'Ukraine
ont été bloquées pendant très longtemps,
alors que la Russie est aujourd'hui le 1er
producteur de blé au monde et que nous avons besoin
aujourd'hui, dans ce monde de plus en plus urbain,
de reconsidérer ces gens dans les campagnes qui triment
dur, comme l'a dit Calixthe, qui élèvent
des bêtes et qui sont souvent considérés
comme la dernière roue du carrosse.
-Merci pour cet éloge mérité de la paysannerie
et du monde agricole.
Il me reste à vous remercier, Mesdames,
cher Antoine Glaser.
Je voudrais remercier
l'équipe de LCP, qui a permis donc la réalisation de cette émission.
Et avant de nous quitter, je vous laisse
avec cette citation de Nicolas Baverez :
"L'Afrique a considérablement changé
"depuis la fin du XXe siècle,
"elle participe à la naissance d'un Sud global."
SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
...
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