Albert Camus - Discours de réception du prix Nobel, 1957
Summary
TLDRDans ce discours captivant, l'orateur exprime sa profonde gratitude pour le prix décerné par l'Académie, reconnaissant que l'honneur l'a dépassé. Il partage ses inquiétudes face à la solitude de la gloire et la responsabilité qui pèse sur lui, en un temps où d'autres écrivains sont réduits au silence et son propre pays souffre. Il défend l'idée que l'art est un moyen de connecter les gens et de partager les joies et les souffrances communes, plaçant l'artiste au service de la vérité et de la liberté. L'écrivain, selon lui, est tenu d'être fidèle à ces deux valeurs, même si cela signifie vivre avec des défis et des échecs. Il conclut en transmettant l'honneur reçu à sa génération qui lutte pour la dignité de la vie et la mort, et en réitérant son engagement envers l'art et la société.
Takeaways
- 🙏 L'orateur exprime une profonde gratitude envers l'Académie pour l'honneur qu'elle a accordé, reconnaissant que cela dépasse ses mérites personnels.
- 🎨 Il souligne l'importance de l'art pour lui, mais non au-dessus de tout, car il est intrinsèquement lié à la vie communautaire et à la vérité universelle.
- 🤔 L'artiste est confronté à la nécessité de comprendre et non de juger, étant donné la complexité et la diversité des expériences humaines.
- 🌟 L'art est présenté comme un moyen de toucher le plus grand nombre de personnes en partageant des images privilégiées de joies et de souffrances communes.
- 📚 Le rôle du écrivain est défini comme celui qui est au service de ceux qui subissent l'histoire, plutôt que de ceux qui la font.
- 😔 Il mentionne le sentiment de panique face à l'honneur lorsqu'il est confronté à la souffrance silencieuse d'autres écrivains et la tragédie de sa propre patrie.
- 🌐 L'écrivain est appelé à ne pas se compromettre avec le mensonge et la servitude, car cela isole et nuit à la communauté.
- 💪 L'engagement envers la vérité et la liberté est souligné comme étant la condition sine qua non pour la grandeur de l'art du écrivain.
- ⏳ Il décrit la génération à laquelle il appartient comme étant chargée d'une tâche immense : empêcher le monde de se détruire.
- 🤝 Il appelle à la solidarité et au soutien pour cette génération qui lutte pour la vérité et la liberté, même si la tâche est considérable.
- 🕊️ L'orateur conclut en transmettant l'honneur reçu à sa génération tout entière, soulignant l'importance de la promesse de fidélité à son art et à sa mission.
- 📝 Il rappelle que la noblesse de son métier est fondée sur le refus de mentir et la résistance à l'oppression, malgré les défis et les échecs possibles.
Q & A
Quelle est la première réaction de l'orateur lorsqu'il reçoit le prix décerné par l'Académie ?
-L'orateur exprime une profonde gratitude envers l'Académie, soulignant que le prix l'honore au-delà de ses mérites personnels.
Comment l'orateur perçoit-il l'impact de la notoriété et de la reconnaissance sur un artiste ?
-L'orateur reconnaît que tout artiste souhaite être reconnu, mais il exprime également une certaine appréhension face à l'isolement et à l'exposition que peut entraîner une telle distinction.
Quelle est la vision de l'orateur sur le rôle de l'art et de l'artiste dans la société ?
-L'orateur considère que l'art est un moyen de toucher le plus grand nombre de personnes en présentant une image privilégiée de leurs joies et souffrances communes. Il estime que l'artiste doit être au service de la communauté et non s'éloigner d'elle.
Comment l'orateur définit-il le devoir du writer envers la société ?
-Selon l'orateur, le writer est au service de ceux qui subissent l'histoire plutôt qu'à ceux qui la font. Il doit être capable de transmettre la souffrance et le silence des personnes opprimées.
Quels sont les deux devoirs difficiles mais essentiels que l'orateur attribue au writer ?
-Le service de la vérité et le service de la liberté. L'orateur insiste sur l'importance de ne pas se compromettre avec les mensonges et la servitude, et de refuser de mentir sur ce que l'on sait.
Comment l'orateur décrit-il la situation de la génération qu'il représente ?
-Il décrit la génération comme étant confrontée à une histoire corrompue, où les pouvoirs médiocres peuvent détruire tout en étant incapables de convaincre, et où l'intelligence s'est dégradée en servant la haine et l'oppression.
Quelle est la tâche de cette génération selon l'orateur ?
-La tâche de cette génération est de prévenir la destruction du monde et de restaurer la paix entre les nations, en réconciliant le travail et la culture, et en remettant de l'ordre dans un monde menacé de désintégration.
Comment l'orateur perçoit-il le devoir de l'artiste envers la vérité et la liberté ?
-L'orateur estime que l'artiste doit se diriger vers ces deux objectifs avec détermination, conscient de ses échecs possibles sur la longue route, mais sans cesser de les poursuivre.
Quelle est la position de l'orateur quant à la transmission de l'honneur qu'il reçoit ?
-L'orateur souhaite transférer l'honneur reçu à sa génération, en particulier à ceux qui se sacrifient et qui n'ont reçu aucun privilège, mais ont connu la misère et la persécution.
Comment l'orateur conclut-il son discours ?
-L'orateur conclut en remerciant l'Académie et en réitérant le serment de fidélité que tout artiste se fait en silence chaque jour, promettant de rester fidèle à son art et à sa mission.
Quels sont les éléments qui ont soutenu l'orateur tout au long de son parcours ?
-L'orateur a été soutenu par la nostalgie de la lumière, du plaisir d'être et de la liberté, qui a aidé à une meilleure compréhension de son art et à soutenir sans réserve ceux qui vivent dans le monde grâce au souvenir du retour de moments de bonheur.
Comment l'orateur définit-il l'idée qu'il a de son art et du rôle du writer ?
-L'orateur voit son art comme essentiel à son existence, mais il ne le place pas au-dessus de tout. Il est un moyen de communiquer avec les autres et de les toucher par des images privilégiées de leurs expériences communes. Il est également un moyen de ne pas se couper du monde et de rester connecté avec la vérité et la liberté.
Outlines
🙇♂️ Réception d'une distinction et reconnaissance de l'art
Le narrateur commence par exprimer sa profonde gratitude pour la distinction reçue de l'Académie, soulignant que cela dépasse ses mérites personnels. Il admet le désir d'être reconnu, tout en reconnaissant la solitude de son travail et la situation difficile des autres écrivains en Europe. Il exprime son trouble face à l'honneur et la nécessité de se raccrocher à sa vision de l'art et du rôle de l'écrivain. Il décrit l'art comme un moyen de toucher les foules en partageant les joies et les souffrances communes, et insiste sur le fait que l'artiste doit comprendre plutôt que juger, et être au service de ceux qui souffrent.
🌟 Devoirs difficiles du rôle d'écrivain et engagement envers la vérité et la liberté
Le narrateur explique que le rôle de l'écrivain est au service de ceux qui souffrent, et non de ceux qui font l'histoire. Il souligne que l'art ne doit pas se compromettre avec le mensonge et la servitude. Il parle de la génération qu'il représente, née au début de la Première Guerre mondiale et confrontée à de nombreux défis historiques, y compris la Seconde Guerre mondiale et la menace de la destruction nucléaire. Il appelle à la recherche de légitimité et à la création d'une nouvelle forme d'art pour vivre dans des temps de catastrophe. Il insiste sur la nécessité de refuser le nihilisme et de se battre pour la dignité de la vie et de la mort.
🤝 Transmission de l'honneur et dévotion à l'art malgré les limites
Le narrateur conclut en disant qu'il transmettra l'honneur reçu à sa génération qui est en lutte contre les défis du monde moderne. Il admet que l'écrivain n'a pas de solutions complètes ni de morales élevées, car la vérité est mystérieuse et la liberté est dangereuse. Il reconnaît ses propres limites et ses dettes, tout en étant dévoué à créer dans le mouvement destructeur de l'histoire. Il remercie l'Académie et réitère son engagement envers l'art et la vérité, promettant une fidélité sans réserve.
Mindmap
Keywords
💡Reconnaissance
💡Artiste
💡Vérité
💡Liberté
💡Art
💡Engagement
💡Oppression
💡Silence
💡Génération
💡Dignité
💡Paix
Highlights
L'expression de gratitude envers l'Académie pour la distinction reçue.
Reconnaissance que la récompense dépasse les mérites personnels.
Le désir d'être reconnu, partagé par tous les artistes.
Comparaison des répercussions de la décision à l'image de soi.
L'angoisse ressentie face à la solitude imposée par la notoriété.
La période difficile pour les écrivains en Europe et la souffrance de la patrie natale.
La quête de paix en acceptant une fortune trop généreuse.
L'idée que l'art ne peut être séparé de la vie commune.
L'art comme moyen de toucher le plus grand nombre en partageant les joies et les souffrances.
L'obligation pour l'artiste de ne pas se mettre à part et de servir la vérité universelle.
Le rôle difficile mais essentiel du writer au service de ceux qui souffrent.
L'importance de ne pas oublier les voix silencieuses et de les transmettre à travers l'art.
Le devoir du writer de servir la vérité et la liberté sans compromis avec le mensonge ou l'esclavage.
L'engagement de l'auteur à partager l'honneur avec sa génération et ceux qui luttent sans privilèges.
La déclaration de l'auteur sur ses limites et sa dette envers ceux qui le soutiennent.
L'expression de gratitude et la promesse de fidélité envers l'art et la communauté.
Transcripts
Sir, Madam, Your Royal Highnesses, Ladies and Gentlemen,
In receiving the distinction with which your free Academy has so generously honoured me,
my gratitude has been profound, particularly when I consider the extent to which this recompense
has surpassed my personal merits. Every man, and for stronger reasons, every artist, wants
to be recognized. So do I. But I have not been able to learn of your decision without
comparing its repercussions to what I really am. A man almost young, rich only in his doubts
and with his work still in progress, accustomed to living in the solitude of work or in the
retreats of friendship: how would he not feel a kind of panic at hearing the decree that
transports him all of a sudden, alone and reduced to himself, to the centre of a glaring
light? And with what feelings could he accept this honour at a time when other writers in
Europe, among them the very greatest, are condemned to silence, and even at a time when
the country of his birth is going through unending misery?
I felt that shock and inner turmoil. In order to regain peace I have had, in short, to come
to terms with a too generous fortune. And since I cannot live up to it by merely resting
on my achievement, I have found nothing to support me but what has supported me through
all my life, even in the most contrary circumstances: the idea that I have of my art and of the
role of the writer. Let me only tell you, in a spirit of gratitude and friendship, as
simply as I can, what this idea is.
For myself, I cannot live without my art. But I have never placed it above everything.
If, on the other hand, I need it, it is because it cannot be separated from my fellow men,
and it allows me to live, such as I am, on one level with them. To me, art is not a solitary rejoicing.
It is a means of stirring the greatest number of people by offering them a privileged picture of
common joys and sufferings. It obliges the artist not to keep himself apart; it subjects him to the most
humble and the most universal truth. And often he who has chosen the fate of the artist because
he felt himself to be different soon realizes that he can maintain neither his art nor his
difference unless he admits that he is like the others. The artist forges himself to the
others, midway between the beauty he cannot do without and the community he cannot tear
himself away from. That is why true artists scorn nothing: they are obliged to understand
rather than to judge. And if they have to take sides in this world, they can perhaps
side only with that society in which, according to Nietzsche's great words, not the judge
but the creator will rule, whether he be a worker or an intellectual.
By the same token, the writer's role is not free from difficult duties. By definition
he cannot put himself today in the service of those who make history; he is at the service
of those who suffer it. Otherwise, he will be alone and deprived of his art.
Not all the armies of tyranny with their millions of men will free him from his isolation, even
and particularly if he falls into step with them. But the silence of an unknown prisoner,
abandoned to humiliations at the other end of the world, is enough to draw the writer
out of his exile, at least whenever, in the midst of the privileges of freedom, he manages
not to forget that silence, and to transmit it in order to make it resound by the means of art.
None of us is great enough for such a task. But in all circumstances of life, in obscurity
or temporary fame, cast in the irons of tyranny or for a time free to express himself,
the writer can win the heart of a living community that will justify him, on the one condition
that he will accept to the limit of his abilities the two tasks that constitute the greatness
of his craft: the service of truth and the service of liberty. Because his task is to
unite the greatest possible number of people, his art must not compromise with lies and
servitude which, wherever they rule, breed solitude. Whatever our personal weaknesses may be,
the nobility of our craft will always be rooted in two commitments, difficult to
maintain: the refusal to lie about what one knows and the resistance to oppression.
For more than twenty years of an insane history, hopelessly lost like all the men of my generation
in the convulsions of time, I have been supported by one thing: by the hidden feeling that to
write today was an honour because this activity was a commitment - and a commitment not only
to write. Specifically, in view of my powers and my state of being, it was a commitment
to bear, together with all those who were living through the same history, the misery
and the hope we shared. These men, who were born at the beginning of the First World War,
who were twenty when Hitler came to power and the first revolutionary trials were beginning,
who were then confronted as a completion of their education with the Spanish Civil War,
the Second World War, the world of concentration camps, a Europe of torture and prisons -
these men must today rear their sons and create their works in a world threatened by nuclear destruction.
Nobody, I think, can ask them to be optimists. And I even think
that we should understand - without ceasing to fight it - the error of those who in an excess of despair
have asserted their right to dishonour and have rushed into the nihilism of the era.
But the fact remains that most of us, in my country and in Europe, have refused this nihilism
and have engaged upon a quest for legitimacy. They have had to forge for themselves an art
of living in times of catastrophe in order to be born a second time and to fight openly
against the instinct of death at work in our history.
Each generation doubtless feels called upon to reform the world. Mine knows that it will
not reform it, but its task is perhaps even greater. It consists in preventing the world
from destroying itself. Heir to a corrupt history, in which are mingled fallen revolutions,
technology gone mad, dead gods, and worn-out ideologies, where mediocre powers can today destroy
all yet no longer know how to convince, where intelligence has debased itself to become
the servant of hatred and oppression, this generation has had, both within and without,
re-establish, starting from its own negations, a little of that which constitutes the dignity
of life and death. In a world threatened by disintegration, in which our grand inquisitors
run the risk of establishing forever the kingdom of death, it knows that it should, in an insane
race against the clock, restore among the nations a peace that is not servitude, reconcile anew labour and
culture, and remake with all men the Ark of the Covenant. It is not certain that this
generation will ever be able to accomplish this immense task, but already it is rising
everywhere in the world to the double challenge of truth and liberty and, if necessary,
knows how to die for it without hate. Wherever it is found, it deserves to be saluted and encouraged,
particularly where it is sacrificing itself. In any event, certain of your complete approval,
it is to this generation that I should like to pass on the honour that you have just given me.
At the same time, after having outlined the nobility of the writer's craft, I should have
put him in his proper place. He has no other claims but those which he shares with his
comrades in arms: vulnerable but obstinate, unjust but impassioned for justice, doing
his work without shame or pride in view of everybody, not ceasing to be divided between
sorrow and beauty, and devoted finally to drawing from his double existence the creations
that he obstinately tries to erect in the destructive movement of history. Who,
after all this, can expect from him complete solutions and high morals? Truth is mysterious, elusive,
always to be conquered. Liberty is dangerous, as hard to live with as it is elating.
We must march toward these two goals, painfully but resolutely, certain in advance of our
failings on so long a road. What writer would from now on in good conscience dare set himself up
as a preacher of virtue? For myself, I must state once more that I am not of this kind.
I have never been able to renounce the light, the pleasure of being, and the freedom
in which I grew up. But although this nostalgia explains many of my errors and my faults,
it has doubtless helped me toward a better understanding of my craft. It is helping me still
to support unquestioningly all those silent men who sustain the life made for them in the world
only through memory of the return of brief and free happiness.
Thus reduced to what I really am, to my limits and debts as well as to my difficult creed,
I feel freer, in concluding, to comment upon the extent and the generosity of the honour
you have just bestowed upon me, freer also to tell you that I would receive it as an
homage rendered to all those who, sharing in the same fight, have not received any privilege,
but have on the contrary known misery and persecution. It remains for me to thank you
from the bottom of my heart and to make before you publicly, as a personal sign of my gratitude,
the same and ancient promise of faithfulness which every true artist repeats to himself in silence every day.
5.0 / 5 (0 votes)